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Questions et réponses avec Hannah Barrueta Sacksteder, Gestionnaire des Programmes et de l’Équité de WomenStrong et Responsable de Justice Linguistique

Questions et réponses avec Hannah Barrueta Sacksteder, Gestionnaire des Programmes et de l’Équité de WomenStrong et Responsable de Justice Linguistique

[English, Spanish]

La justice linguistique désigne « le processus qui consiste à créer l’accès et à conserver des espaces multilingues inclusifs afin que la voix de chacun puisse être entendue. C’est la conviction que chacun a le droit de communiquer dans la langue dans laquelle il se sent le plus à l’aise.» – Social Policy Research Associates, 2020

Aux État-Unis, où 20 pourcent des personnes parlent une langue autre que l’anglais à la maison, la justice linguistique est souvent associée au Chapitre VI de la Loi sur les droits civils de 1964. Les milieux juridiques et le secteur des soins de santé sont les lieux où l’on évoque le plus le fait d’assurer aux personnes qui ne parlent pas l’anglais de pouvoir comprendre leurs droits et leurs traitements médicaux. 

Mais qu’est-ce que la justice linguistique pour une organisation internationale dont le siège est dans un pays anglophone ? Comment WomenStrong a-t-il observé la nécessité de cette justice et a-t-il commencé à offrir l’interprétation aux locuteurs d’autres langues ? Nous nous sommes entretenus à ce sujet avec Hannah Barrueta, notre responsable de la justice linguistique, gestionnaire des programmes et de l’équité, ainsi que de ses objectifs quant à l’avenir des services de traduction et d’interprétation chez WomenStrong. Lisez notre interview avec elle ci-dessous.

Comment avez-vous commencé à réfléchir à la nécessité de combler les lacunes linguistiques et de communication au sein de WomenStrong ?

J’ai grandi au Mexique avec une mère américaine. Au Mexique, de nombreuses langues autochtones ont été écrasées, même si aujourd’hui, le gouvernement tente de faire revivre certaines d’entre elles. J’ai toujours pensé que c’était une terrible injustice.

Quand j’ai déménagé en France pendant un an pour m’immerger dans la langue, j’ai eu du mal à communiquer. Cela m’a fait prendre conscience de la frustration ou du manque d’opportunités que les barrières linguistiques peuvent créer. 

J’ai entendu parler d’un groupe grandissant de militants qui luttent contre les déséquilibres de pouvoir dans leur travail d’inclusion linguistique et qui cherchent à le relier à une vision de justice et d’inclusion sociales.

La justice linguistique contribue à favoriser le partage des pouvoirs, à promouvoir l’inclusion et à démanteler les systèmes traditionnels d’oppression qui ont privé les non-anglophones de leurs droits.

Comment avez-vous pris conscience du concept de justice linguistique ?

La justice linguistique contribue à favoriser le partage des pouvoirs, à promouvoir l’inclusion et à démanteler les systèmes traditionnels d’oppression qui ont privé les non-anglophones de leurs droits.

J’ai commencé à réfléchir au concept lors de notre premier séjour WomenStrong, qui avait été organisé en présentiel en 2019. Deux intervenants avaient demandé une interprétation en direct. Les interprètes avaient présenté le thème de la justice linguistique au début de la réunion.

Après le début de la pandémie, nous avons souhaité que le personnel de nos partenaires participe à des événements et des réunions en ligne pour le Learning Lab, mais beaucoup des membres du personnel ne parlaient pas l’anglais. Petit à petit, alors que nous avons fourni des interprètes, la compositions des groupes sur les appels a changé et la nature de nos échanges a évolué. Nous avons pu obtenir plus d’informations de terrain sur les interventions qui fonctionnaient et la façon dont WomenStrong pourrait avoir besoin d’ajuster certaines choses.

Les partenaires étaient reconnaissants d’avoir la possibilité pour l’ensemble de leur personnel de participer à des réunions avec WomenStrong et d’échanger de manière plus confortable les uns avec les autres

Pourquoi avez-vous rédigé une politique de justice linguistique pour WomenStrong ?

Nous avions l’impression que nous ne serions pas fidèles à notre mission si nous n’avions pas de justice linguistique. Sans cela, nous ne montrerions pas que nous valorisons le contexte et les cultures de nos partenaires. 

Nous voulions que nos partenaires et leur personnel se sentent suffisamment à l’aise pour s’exprimer, partager leur expérience. Parfois, les gens ont du mal avec leur accent, et nous voulons qu’ils se sentent en sécurité. En tant que groupe, nous devons assister. Nous voulions que le personnel de nos partenaires apporte son authenticité aux réunions, pour écouter, apprendre, et comprendre. La justice linguistique était un moyen d’être à la hauteur de nos principes. 

Hannah Barrueta Sacksteder (à gauche) avec les partenaires de WomenStrong Susan León (au centre) et Paola Saldivias (à droite) de Visionaria Perú à la Conférence latino-américaine et caribéenne des sciences sociales – CLACSO 2022

Comment WomenStrong met-il en œuvre la justice linguistique ?

Le besoin d’interprétation en direct a explosé au début de la pandémie. Nous avons trouvé certaines organisations qui travaillent généralement avec les réfugiés et nous avons passé un contrat avec elles pendant six mois. 

Maintenant, chaque fois que nous planifions un appel, nous demandons de manière proactive aux partenaires s’ils souhaitent ou non une interprétation.

J’informe les interprètes avant l’appel vidéo. Je configure Zoom et je m’assure que les présentations sont traduites en espagnol et en français. Mon objectif est de m’assurer que les partenaires et leur personnel peuvent pleinement participer à chaque phase de l’activité.

Nous sommes conscients que la justice linguistique est un processus qui consiste à créer des espaces, à favoriser l’équité et à accepter qu’il s’agira d’une expérience d’apprentissage. Nous sommes toujours ouverts aux idées de nos partenaires.

Que faire si l’une de nos langues alternatives — l’espagnol et le français — n’est pas la langue maternelle de l’un de nos partenaires ? 

Si deux partenaires ou plus expriment un besoin d’interprétation dans une autre langue, nous cherchons à y répondre. Nous le faisons, par exemple, pour la langue des signes. En anglais, nous pouvons proposer le sous-titrage codé.

Quelles autres traductions fournissez-vous pour assurer la justice linguistique?

Nous veillons à traduire les courriels, les présentations, les documents clés et les autres activités vers nos langues officielles. Nous sommes également sensibles aux personnes de différentes régions. Nous demandons aux interprètes d’être flexibles et d’incorporer les dialectes espagnols ou français des partenaires lorsque cela est possible.

Comment les partenaires et leur personnel ont-ils réagi à la nouvelle politique de justice linguistique de WomenStrong ?

Les commentaires étaient très positifs. Les gens étaient préoccupés par le nombre de langues concernées dans le monde, à savoir des centaines. Nous nous sommes entretenus avec nos partenaires et avons décidé de l’espagnol et du français. Nous faisons en sorte qu’il y ait des traductions pour ces langues.

Les partenaires apprécient que nous ayons créé un espace plus équitable qui impliquerait davantage que simplement les cadres supérieurs anglophones. Nous avons constaté que les appels sont plus diversifiés, et que la possibilité de s’entretenir avec plus de membres des équipes des partenaires change la dynamique du Learning Lab. 

Quelle a été l’expérience de WomenStrong depuis que vous avez proposé la traduction ?

La mise en œuvre de notre politique de justice linguistique a été une véritable révélation pour nous. Nous avons remarqué à quel point les conversations étaient plus riches après avoir proposé l’interprétation. 

Beaucoup de nos partenaires nous ont remerciés pour notre nouvelle politique. Ils disent qu’ils se sentent appréciés et entendus, maintenant qu’ils peuvent tous participer au sein de l’espace sécurisé du Learning Lab. Nous sommes constamment à la recherche de moyens de décoloniser le développement. C’est un processus continu que nous serons heureux de faire évoluer en fonction des besoins de nos partenaires.

Que conseilleriez-vous comme meilleure façon d’assurer la justice linguistique ?

Je conseillerais d’écouter. WomenStrong dispose d’une politique de justice linguistique parce que nous avons écouté nos partenaires bénéficiaires et remarqué que notre manière de procéder pouvait être améliorée. Il est important pour nous que notre travail et nos activités répondent aux besoins des partenaires, en commençant par le principe de base de la compréhension mutuelle. 

Si vous souhaitez mettre en œuvre la justice linguistique dans votre organisation, trouvez des personnes dans votre équipe qui sont ouvertes à l’idée de créer plus d’espaces équitables et qui acceptent de ne pas avoir un programme parfait. La justice linguistique est un processus d’apprentissage et de changement. Acceptez qu’au moins à court terme vous n’obtiendrez pas un espace linguistique parfaitement équitable. Cependant, cela ne signifie pas que vous ne pouvez pas travailler pour vous diriger vers un espace qui le sera. Faites ce que vous pouvez!

Hannah

Hannah Barrueta Sacksteder

Responsable des programmes et de l’équité

Hannah soutient la gestion et l’organisation de la communauté du Learning Lab, et s’assure que la diversité, l’inclusion et l’équité se reflètent dans les activités de WomenStrong et du Learning Lab.

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